Alain Passard, chef étoilé et patron du restaurant L’Arpège

Alain Passard

Il est des lieux où le temps semble s’arrêter, où les âmes se ressourcent sans que le cours de la vie ne les entraîne. Ainsi va l’Arpège, classé parmi les cinquante meilleurs restaurants mondiaux. Dans cette petite rue tranquille du septième arrondissement de Paris, la fête se prépare, pastel de goûts raffinés et de mélanges subtils, mais aussi aquarelles de saveurs d’antan. Humer l’air : vous entrez dans l’antre du plaisir…

Quand les légumes du potager glissent suavement sous les palais des gourmets…

20 heures. Le petit salon. Une cave aux voûtes centenaires, prémices de veloutés voluptueux. Apparition du Maître de cérémonie, Alain Passard, sans doute le plus chaleureux de tous les lauréats qui ont obtenu les trois étoiles au guide Michelin. Le corps enserré dans son grand tablier noir et loin des discours conventionnels, il ouvre grand les bras avant de vous demander les dernières nouvelles. Puis vous lance un tonitruant : « Allez, à table ! ». On sent la simplicité, l’authenticité, le sens de l’hospitalité, dans cette attitude toute de Carpe Diem. Nous montons l’escalier, antichambre du goût…

20h30. Décor sobre lambrissé de bois clair. Le chef orchestre. Après le salon au plafond voûté, la salle à manger aux murs incrustés de verreries Lalique. Mais le plus impressionnant, ce sont les accords. Car il s’agit bien d’une symphonie des sens et des sons liée à un sympathique éveil des papilles. Place aux défilés des saveurs…

De demi-heure en demi-heure, le temps passe et se perd dans le lointain. Vous flottez. Tout est divin. Alain est aux fourneaux à préparer les élixirs mais aussi dans la salle. Il s’arrête un moment avec vous pour faire un brin de causette, passe à la table voisine, observe du coin de l’œil que l’harmonie règne toujours, et repart en cuisine. Tout se déroule dans la plus parfaite convivialité… Et les légumes du potager au goût d’antan glissent sous les palais des gourmets…

 

L’Arlequin, la tarte aux fleurs : toute une palette de couleurs

Il faut s’appeler Passard pour oser repenser les classiques culinaires. En digne ambassadeur de la cuisine créative, il réinvente les mets au gré de sa fantaisie mais toujours, le légume est roi. Le petit plat « Arlequin » pétille de vitalité car les légumes, en provenance du potager de la Sarthe, religieusement cultivés, étalent leurs mille couleurs, saupoudrés de graines de couscous. Inversion des données. Il y a aussi, à L’Arpège, du château de sable de notre enfance, quand Alain vous apporte la betterave au sel gris de Guérande, majestueuse croûte qui recèle le trésor du goût, soigneusement enfermé comme dans une boîte de Pandore. L’artisan des formes redevient artiste, le temps d’un face à face avec un énorme quart de Comté d’une quarantaine d’années d’affinage, posé tel une brique sur une tranche de chêne centenaire. Roulement de tambour. Après la gratinée d’oignons servie pour rafraîchir les papilles, le Carpaccio de céleri rave, les sushis de légumes, la tarte aux pommes « bouquet de roses » et son caramel au beurre salé, les macarons de racines de persil redonnent un nom à ces mignardises exquises. J’oublie la fleur d’Hibiscus de l’échappé de canard et le poivre de Malaisie. Mais n’est-ce pas le but de la soirée : oublier ? Les recettes du chef ne se révèlent que dans l’instant. En compensation, une sorte de magie opère. Vous n’oublierez jamais que vous avez passé un moment divin.

 

Ce portrait de dirigeant dont Clothilde Monat est l’auteur, a été publié en février 2010.